Infantisme : quand la société traite les enfants comme des « petits » à vie
- alexiatsa
- 1 déc.
- 4 min de lecture

Qu’est-ce que l’infantisme ?
L’infantisme désigne une manière de percevoir l’enfant comme intrinsèquement fragile, dépendant et incapable de comprendre ou d’agir par lui-même. L’adulte pense “savoir pour lui”, décide, anticipe, organise et interprète sans solliciter l’enfant. Il impose un rythme, des gestes et des choix, en négligeant la capacité du jeune enfant à coopérer, participer et comprendre le monde qui l’entoure.
Dans cette logique, l’enfant n’est plus considéré comme une personne compétente en devenir, mais comme un être “à modeler” ou à protéger en permanence. Ses élans d’autonomie sont freiné, ses compétences sont sous-estimées et son développement est cadré par des projections adultes plus que par son rythme propre.
Pourquoi l’infantisme pose problème ?
L’infantisme limite profondément la construction de l’enfant. En niant sa capacité d’initiative, on limite sa confiance en lui et sa possibilité d’explorer le monde. En faisant à sa place, on l’empêche d’apprendre par essai-erreur, de comprendre les conséquences de ses actions, et de construire une sécurité intérieure stable.
Cette posture rigidifie également la relation adulte-enfant : au lieu d’une coopération, elle crée une hiérarchie où l’adulte détient l’ensemble du pouvoir décisionnel. L’enfant apprend alors à attendre, à se conformer, ou à se dissocier de ses propres besoins. Cela se répercute sur :
sa capacité à gérer les émotions,
son autonomie future,
sa prise d’initiative,
sa créativité,
son estime de lui-même.
Les approches de Pikler, Winnicott, Bowlby ou Anne-Marie Fontaine démontrent que l’enfant a besoin d’être reconnu dans ses compétences précoces pour se développer harmonieusement. La posture infantilisante est donc incompatible avec les connaissances actuelles du développement.
Comment l’infantisme se manifeste en structure d’accueil ?
Dans les EAJE ou chez les assistants maternels, l’infantisme apparaît souvent dans des gestes du quotidien qui semblent anodins mais qui révèlent une posture éducative :
L’adulte agit “pour l’enfant”, pas “avec lui”. Il choisit les jouets, les activités, le rythme du repas, la place dans l’espace. L’enfant est rarement consulté et encore moins acteur.
Les soins sont réalisés sans explication. Le change se fait rapidement, sans verbalisation, sans prévenir avant de toucher le corps. Le repas est donné sans interaction. La sieste est imposée sans prendre en compte la disponibilité de l’enfant.
L’adulte empêche de faire seul. Il coupe toujours la viande, remet les chaussons, redresse l’enfant, range à sa place, dirige chaque geste. Le développement de l’autonomie devient impossible.
Le discours est infantilisant. On utilise des phrases exagérément simplifiées ou un ton “bébé” qui ne correspond pas à l’âge mental de l’enfant. Cela limite l’élargissement de son langage et de sa compréhension.
Les émotions de l’enfant sont dévaluées. Une colère est vue comme un “caprice” ; la peur est minimisée ; la frustration est évitée à tout prix. L’enfant apprend alors que ses émotions ne sont pas légitimes.
Ces manifestations sont rarement intentionnelles. Elles prennent racine dans des habitudes éducatives, des représentations culturelles ou un manque de formation. C’est là que le rôle de l’EJE devient essentiel.
Ce que révèle le podcast cité
Le podcast “Le Mag de la vie quotidienne” du 15 octobre 2025 pose une question essentielle :« Et si nous prenions nos enfants au sérieux ? »
L’émission invite à considérer l’enfant comme un sujet à part entière, digne d’écoute, de reconnaissance et d’engagement. Elle dénonce la tendance à considérer les enfants comme “trop petits pour comprendre” et met en lumière la nécessité de leur donner une véritable place dans la relation éducative.
Cette réflexion rejoint les débats actuels autour de l’infantisme : respecter la parole de l’enfant, accueillir ses émotions sans minimiser, lui offrir des possibilités réelles de participation, et reconnaître sa singularité comme un être humain complet.
Comment dépasser l’infantisme ?
Sortir de l’infantisme ne consiste pas simplement à modifier quelques gestes. C’est un changement de regard, une posture professionnelle construite, qui repose sur la confiance dans l’enfant et dans ses capacités.
Cela commence par expliquer ce que l’on fait, même au bébé de trois mois, car la verbalisation nourrit la sécurité intérieure.
Cela passe par laisser l’enfant essayer, se tromper, recommencer, s’organiser, explorer son environnement. L’erreur devient un outil d’apprentissage, pas un échec.
Cela exige de prendre le temps d’observer pour ajuster son intervention aux besoins réels de l’enfant et non à ce que l’adulte imagine.
Cela implique de penser des espaces accessibles, où chaque enfant peut agir sans solliciter en permanence un adulte.
Cela nécessite enfin de reconnaître ses émotions, de les accompagner au lieu de les interrompre, et de lui offrir un cadre stable et sécurisant.
Pourquoi c’est essentiel pour le métier d’EJE ?
Lutter contre l’infantisme fait partie du cœur du métier d’EJE. C’est un enjeu éthique, professionnel et institutionnel. L’EJE est garante d’une posture qui respecte le développement de l’enfant, soutient son autonomie et valorise sa compétence.
Ce regard influence :
l’aménagement des espaces,
la façon d’aborder les soins,
la relation aux familles,
la conduite d’équipe,
la mise en place de projets pédagogiques.
C’est une compréhension fine du développement qui distingue l’approche d’une EJE.
Enjeux éthiques et éducatifs
S’opposer à l’infantisme, c’est remettre l’enfant au centre de la démarche éducative. C’est reconnaître sa dignité, sa place, son rythme. C’est refuser de projeter nos peurs d’adultes sur ses capacités. C’est construire, pas à pas, une relation basée sur la confiance et la coopération.
Accompagner l’enfant, ce n’est pas faire à sa place. C’est faire avec lui. C’est lui offrir un cadre où il peut devenir ce qu’il est déjà en train de devenir : une personne.
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